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Ennemi familier

... Nouvelles du pays

Ennemi Familier

Le Galwydell est une terre de magie. Même les autres Borders nous tiennent pour des demi-fous voire des demi-fées et ils peuvent bien croire ce qu’ils veulent, cela ne changera pas notre destinée. Plus rien maintenant n’influera notre avenir non, car il est dépassé par ce qu'il advient aujourd’hui. Nous avons cessé d’exister, nous devons l’admettre pour pouvoir revenir nous aussi de cette mort-là et survivre à la prochaine.

Je me souviens d’Egmont comme d’un vieil homme fier sur lequel le temps posait des marques visibles oui, mais sans le changer fondamentalement. Je l’ai toujours connu fort, habile combattant à l’épée et fin chasseur à l’arc, aimant peu les boucliers pourtant très prisés par les guerriers de par chez nous. Il protégeait sa femme et sa famille comme s’ils étaient des trésors humains et c’est d’ailleurs ainsi qu’il nous nommait souvent. Il était le maître de notre domaine, il connaissait le nombre et l’emplacement de chaque colonne anguleuse du rivage de Galwydell et ne permettait la récolte des vertèbres de Thrall telles qu’on les appelle ici, qu’une fois effondrées. Il était « le gardien de la rive du ponant » comme disait la Grand Tante Moïra. Il est devenu quelqu’un d’autre ensuite, mais je me souviens de lui ainsi pour ne pas pleurer…

A ce moment là, la pluie tombe depuis déjà plusieurs jours, l’eau ruisselle et ne semble pas pénétrer le sol, les mangroves soudainement apparues ne sont pas déjà devenues la boue que l’on verra envahir la moindre parcelle de terrain par la suite. Grand-père décide d’aller voir ce qu’il en est de la sauvegarde des bêtes et de l’état du rivage. Il craint que l’érosion soit tout à coup si violente que des morceaux de falaises soient emportés sans qu’on puisse n'en retrouver la trace, si c’est le cas les fameuses vertèbres seront  « perdues pour des lustres » dit-il en partant !

 

Il faut dire que le paysage chez nous est à peu près partout en pente douce. Pas de grande montagne non, des collines par endroit mais surtout un littoral comme le bord déchiré d’un vieux tartan, qui reste immuable malgré la pluie fréquente et le vent quotidien. Alors quand le vieux s’inquiète tout à coup nous le prenons pour ce qu’il est : un gardien de nos traditions et nous le laissons aller seul vérifier que tout va pour le mieux. Egmont pense que l’eau va se jeter dans la mer à toute vitesse et va donc faire beaucoup de mal à l’arrivée, empoisonner les poissons et modifier le rivage, précipiter des vertèbres dans la mer, il se fait vraiment du souci et même si cela nous paraît exagéré, nous le respectons.

 

A ce moment-là nous sommes tous tellement reconnaissants pour la pluie qui a manqué ces trois dernières années que nous ne pensons pas que les choses vont mal tourner, nous faisons la fête et mon père laisse même mes petites sœurs boire de l’hydromel ! Le vieux sort sous la pluie seul et dans l’indifférence de notre célébration insouciante… La rage me saisit quand j’y pense, je me vois grisé par l’hydromel et je voudrais me secouer, me frapper pour me faire remarquer que Grand-père lui a l’air vraiment très soucieux quand il franchit la porte de notre maison.

 

Trois bonnes heures plus tard, le chemin est devenu un torrent, Grand-père n’est pas revenu. Il fait nuit noire et si l’eau tombe du ciel elle ne fait du bruit qu’à l’arrivée. Pas de vent qui l’accompagne ni d’orage pour marbrer le ciel de ses éclairs. Il pleut de nuit et il pleut de la nuit, car l’eau est comme noire à cause de la tourbe. Par endroit un tourbillon crée de la mousse et on croirait voir les chutes de Blackfall depuis la fenêtre. Nous ne pouvons aller voir ce qu’il est advenu de Grand-père, nous devons lui faire confiance pour s’être mis à l’abri.

 

Le lendemain il pleut plus doucement mais encore énormément, grand père ne revient pas de la journée. Nous ne nous éloignons pas vraiment de la ferme, nous allons tenter de sauver une bête pour les trouver toutes noyées ou manquantes, sans doute emportées par les torrents de la nuit. Nous faisons un dernier feu dans l’âtre pour cuire un veau, il n’est pas bien gras vu les années que nous avons passées mais il nous revigorera et ma mère dit en souriant que ça fera revenir grand-père.

 

Le soir venu, nous nous servons à manger les uns aux autres dans une maison détrempée, à la toiture percée en maints endroits et la pluie elle tombe toujours. C’est pendant le repas que soudain la porte s’ouvre et que Grand-père entre. Il est couvert de boue, il tient plusieurs pierres anguleuses dans ses bras comme il serrait tendrement grand mère tant qu’elle était encore parmi nous. Il pose les pierres sur la table en les lâchant toutes d’un coup, elle manque de se renverser, je fais contrepoids de l’autre côté pour compenser. Il s’assied dans son fauteuil en bois de hêtre. Il ne parle pas, il ne semble pas respirer non plus mais on ne s’affole pas pour ça. On lui offre à boire il refuse d'un geste lent de la main, on lui offre à manger il répond non de la tête.

 

Il reste une partie de la nuit dans son fauteuil, père et moi veillons près de lui pour répondre à des demandes qui ne viennent pas. Il est mort, comme revenu chez lui pour en finir après avoir sauvé quelques pierres à la magie discutable. Nous nous mettons à pleurer, nous rageons un moment contre les vieilles croyances et puis l’impensable se produit. Grand-père se dresse tout à coup, se saisissant d’une des pierres qu’il avait refusé que l’on range et qui était encore devant lui, assène bien vite un coup sur le crâne de mon père et tente de me donner la pareille par le même geste remontant.

Mon père s'écroule. Je veux raisonner le vieux, je tourne autour de la table pour le fuir mais voyant que rien ne l'arrêtera et sachant qu’après moi viendront ma mère et mes soeurs,  je fais front. Je saisis un tison dans le feu et lui brûle la face, pour moins le reconnaître aussi. Après je décroche l’épée de père du mur et je lui tranche la tête d’un seul coup, comme il m’a appris à le faire avec les veaux. Grand-père Egmont s’effondre et ne bouge plus du tout. Je reprends mon souffle et je vois mon père au sol, la tête fracturée mais qui bouge encore, qui tente de se relever et... qui exhale finalement un dernier souffle. Je fais ce que je dois, sans y penser à ce moment là... mais depuis, chaque soir en fermant les yeux.

Nous avons cessé d’exister, nous ne sommes plus que du bétail en sursis, nous devons retrouver les savoirs perdus depuis nos pères, les secrets d’avant Pendragon… Qui saura lire à nouveau dans les étoiles ? Qui saura dire nos avenirs pour qu’il en existe au moins un pour de bon ? Je veux être de ceux qui comptent et qui content, je veux survivre et reconstruire, en plaçant une pierre sauvée par mon grand père dans les fondations de ma prochaine maison, ma mère, ma dernière soeur et moi nous pourrons y vivre à nouveau et recréer le clan Ferguson.


Lochlan Ferguson

Horizon de Pluie

Je ne voyais plus rien. J’étais dans cette crevasse depuis 4 jours si toutefois je n’avais pas déjà perdu conscience assez longtemps pour perdre le compte. Je n'avais rien mangé d’autre que des vers de terre et encore, plus depuis la veille. L'air était liquide lui aussi. Respirer devenait une épreuve de plus en plus difficile. L’eau montait sans cesse, un fort courant voulait m’emporter vers le fond et pourtant à grand coup de talons sur les parois je parvenais à surnager et à m’accrocher ici et là. Mes mains étaient devenues deux plaies sanguinolentes mais cautérisées par l'argile qui était devenu ma seconde peau. J’avais pu dormir aussi, du moins jusqu’à ce que l’eau boueuse parvienne encore une fois au niveau de ma bouche et que je doive lutter pour ma vie.

Il pleuvait depuis une semaine, j’avais eu la bonne idée de me soucier de la santé de nos voisins et je voulais m’assurer qu’ils allaient bien. Evidemment que je songeais surtout à Camden, le fils aîné des voisins. On se chamaillait à tout bout de champ depuis mon arrivée en Alba, il passait me voir tous les jours et là tout à coup je n’avais plus de nouvelles. La pluie ? La belle affaire ! Ici il pleut presque tous les jours, pensais-je alors sans me douter de ce qu'il adviendrait ensuite…

Je trouvais la ferme des McGregor totalement inondée, ils étaient en contrebas des collines, presque au bord de l’eau et je comprenais en même temps que je voyais ce désastre ce qui était vraiment en train de se passer. La pluie redessinait notre pays. Le rivage n’était plus le même, maintenant les terres de McGregor étaient peut-être sous l’eau pour toujours…

 

Je voulus aller voir et je fus emportée par le courant de la rivière devenue invisible au milieu de toute cette tourbe liquide. Je m'accrochais aux poteaux dépassant encore de l’eau pleine de tourbe pour regarder au loin. La pluie était moins forte que les trois premiers jours et on pouvait voir jusqu'aux pointes des falaises qui encadraient la vallée, je ne reconnaissais rien, l’enfer liquide m'entourait, je commençais à avoir peur. Jusque là je ne réalisais pas ce qui se passais. Là j’étais prisonnière sans le moindre mur pour me barrer la vue alentours.

Au bout d’un temps infini je fatiguais et sur le point de m’endormir je lâchais le poteau qui me servait d’ancrage. J’avais beaucoup crié pour qu’on me vienne en aide mais personne n’allait s’aventurer là bien évidemment ! Quelle stupide gamine je peux être parfois. Je fus emportée par le courant presque soulagée de me dire que je finirais dans la mer et que je pourrais y nager plus facilement qu’ici immergée dans la boue en mouvement.

Cela n’arriva jamais. Je tombais dans cette crevasse et j’y passais donc plusieurs jours, voyant la boue tomber autour de moi et sur moi mais bientôt la pluie diminua encore et je pus m’abriter dans une anfractuosité rocheuse. Puis le niveau monta, monta, monta. J’ai cru mourir plusieurs fois mais je trouvais toujours un endroit où m’appuyer, un rebord qui tenait ferme, un abri ailleurs dans la crevasse...

Regard Noyé

" Les destins sont fâcheux. Je n’ai pas choisi de vivre sur cette île où les morts se relèvent si souvent !

 

Ils sont peu nombreux à être encore parmi nous, ceux qui ont connu le temps d’Arthur et ont combattu à Badon. Le fait est que moi, je me souviens ! Mordred avait autour de lui, tout autour du ventre même, des cadavres pour prendre les coups à sa place et on voyait planer des corneilles au dessus de son armée qui en dévoraient des morceaux jusque pendant la bataille ! Rien ne les effrayait, ni la tempête de fer et son vacarme assourdissant ni les cris et gémissements des blessés, au contraire…

Je suis né tout près de Moremsk mais j’ai grandi non loin de Londinium et j’ai donc vu aussi grandir Arthur en même temps que nous autres Sarmates appelés à devenir membres de sa cavalerie. Arrivé à maturité et couronné d’or il inventa enfin ses chevaliers. Il nous fit ceindre l’épée un à un, à tous il en offrit une qui ressemblait à la sienne. Nous nous sentions pousser des ailes et notre connaissance des chevaux nous élevait d’ailleurs vraiment et pour toujours au dessus des autres sujets.

 

Nous étions dès lors déclarés comme ses pairs mais il était évident que c’était là pure forme. Il était le Roi et nul n’était son égal. J’avais déjà appris le latin et j’ai même ça et là posé un peu de gaélique sur parchemin avec le temps. J’ai raconté cette histoire du lac un si grand nombre de fois que j’en invente une nouvelle version pour me distraire un peu de ma propre monotonie dès qu’il en est de nouveau question… Comme je vieillis finalement et que la mémoire me joue des tours, je couche céans une fois pour toutes la forme qu’elle devrait avoir si un jour la vie d’Arthur devait être posée par écrit par un quelconque fou désireux de raconter cette tragédie !

 

Cela se passa entre le moment où Arthur fut reconnu par tous comme celui qui retirait l’épée et donc devenait Roi de Bretagne et le moment où il dû aller chercher la vraie… Oui, tout un chacun y prête peu d’attention mais de fait Excalibur n’est pas l’épée du Rocher. Excalibur fut un cadeau fait par la Dame du Lac en échange de l’autre, celle qui reconnaît les Rois de la grande île… Cette Dame comme on l’appelle et qui pour toujours vit dans l’eau tranquille de cette étendue formant le meilleur des miroirs pour la Lune et où jamais pourtant le Soleil ne se reflète, parle très peu mais se fait très bien comprendre.

 

Il fallait qu’un Chevalier parmi les autres assiste à la scène pour que l’épée soit tout de même retournée à sa maîtresse au cas où… Arthur n’en serait pas capable. Comme cela se raconte aussi, ce fut effectivement utile. Alors qu’il prenait un chemin qu’il semblait déjà connaître, je le suivais lors de cette excursion nocturne qui nous amena jusqu’au bord du miroir de la Dame, peu de temps après qu’il fut vu et reconnu par tous lors de la cérémonie du Rocher.

 

Le chemin n’est pas très long depuis Logres et c’est non d’un lac qu’il s’agit mais d’une crique presque fermée, un lagon très paisible. Je n’en dirai pas plus pour préserver la légende. Quand nous arrivâmes, elle était là en train de marcher sur l’eau. Elle était d’une splendeur à extirper nos yeux de leurs orbites et à vider nos poitrines de tout air. Comme si la contempler pouvait déjà nous noyer de sa présence. Elle semblait irradier de la même lumière que celle de la Lune. Arthur descendit de cheval, nous étions silencieux depuis un moment déjà pour être attentifs à d’éventuels suiveurs indiscrets et toujours sans lâcher un mot il continua à pied jusqu’au bord du lac. Se tenant droit il brandit l’épée en l’air, pointant l’astre nocturne de son estoc.

 

Alors, la belle Dame s’en vint vers lui, elle lui caressa la joue et porta ses lèvres à son front. Elle était grande, bien plus grande que lui… peut-être parce qu’elle flottait debout sur l’eau. Elle me regarda, de ses yeux comme noyés eux aussi, elle fit une douceur pour mon âme et du chef revenant sur Arthur, elle lui sourit ensuite comme pour approuver son choix. Elle lui prit l’épée en le tenant contre elle et de l’autre main appela une autre lame à surgir de l’eau. Elle prit ensuite ses distances pour le tenir en respect grâce à l’épée du Rocher et lui indiqua d’un geste large l’autre arme qui trônait à une coudée au dessus de l’eau et à quelques brassées du bord. Il fit mine d’enlever son armure, elle l’arrêta en pointant sa main avec l’épée, il comprit qu’il devrait y aller voir tout habillé et tout armé.

 

Arthur n’était pas un être pétri de mystique, il ne croyait guère à la magie que quand il la voyait, alors il inspira le plus qu’il put et retint sa respiration avant d’avancer dans l’eau, sûr de devoir lutter tantôt contre la noyade. Quelques pas plus loin son pied buta visiblement sur une marche et le voilà qui monte et lui aussi avance par dessus l’onde comme un autre avant lui, selon les Ecritures Saintes… Je suis alors ébahi mais toujours bien davantage par la Dame qui me regardait encore et encore entre deux sourires adressés à Arthur, car elle ne semblait pas pouvoir rester en place. Enfin, d’un pas mal assuré mais au sec, Arthur avança jusqu’à se trouver devant l’épée sortie de l’eau.

 

Alors qu’il veut s’en emparer aussi simplement que si elle était posée par terre, il n’y parvient pas. Elle joue avec lui et veut qu’il la poursuive. Le voilà qui court, s'impatiente et se jetant sur elle, s’étale de tout son long sur la surface lisse et humide du lac. Toujours désarmé il commençait à ne plus vraiment apprécier l’ironie de l’épreuve. Et quoi ? Il était venu ici courir après son épée ? Il se mit en colère, braillant fort que la fée ne savait pas ce qu’elle voulait et qu’à bon compte, la première Excalibur pouvait bien lui suffire.

 

La Dame du Lac s’assombrit alors complètement et lui dit qu’il pouvait prendre l’épée maintenant. Il s’exécuta non sans hésitation comme certain que c’était encore une plaisanterie, mais non, il put la saisir et porter le pommeau d’Excalibur à son front pour prononcer à voix basse quelques mots dont il avait le secret. L’épée s’enflamma illico ! La Dame du Lac entra dans une colère encore plus sombre et comme si c’était fait exprès il tomba dans l’eau, la surface du lac se dérobant sous ses pieds. Je m’affolais et m'avançais dans l'onde aussitôt pour porter secours au Roi. Il savait nager depuis l’enfance mais tout de même, il était bien plus harnaché que moi et je pouvais peut-être l’aider !

 

La Dame s’interposa, elle me fit ressortir de l’eau en me poussant de ses mains pourtant si douces, elle me dit alors quelques mots qui ont gravé mon âme comme le roc est inévitablement poli par l’eau de la cascade et le temps qui passe.

“ - Non ! Puisqu’il décide d’être encore un enfant, alors qu’il se souvienne de ses premières leçons ! Il devait appeler l’épée et non aller la chercher, il a oublié l’essentiel et son règne finira donc comme il a commencé : par un oubli funeste et des conséquences malheureuses ! Sa descendance sera hésitante et ne se connaîtra pas elle-même, et l’eau lui sera pour toujours un allié comme l’ennemi insurpassable de son règne. Tu veux lui rendre service ? Apprends donc à construire des ponts ! ”

 

Arthur surgit alors du lac en titubant, l’épée à la main, éteinte évidemment. Je me précipitais vers lui alors que la Dame avait déjà disparu. Il hoquetait et son visage était celui d’un noyé ! Je le voyais défaillir sous mes yeux pendant que les siens cherchaient la lumière de la pleine Lune… Il allait mourir quand je me ravisais, je ne pouvais rester sans rien faire ! Je saisis l’épée pour de rage la renvoyer dans l’eau et j’hurlais alentours à l’adresse de la Dame qu’il fallait prendre ma vie et non la sienne ! A cet instant Arthur reprit conscience et l’épée s’illumina. Elle donnait la même lueur que celle de la Dame à notre arrivée, elle ne brûlait plus non, elle nous éclairait...

 

Dès qu’il fut à nouveau sur ses pieds, je tendis Excalibur à mon Roi en posant un genou au sol. Il la prit d’un geste lent, fatigué d’avoir nagé et manqué d’air. Elle ne brillait plus, il la remisa dans le fourreau de l’autre épée, elle y trouva sa place comme si c’était la même. Je n’osais pas relever la tête. Arthur posa sa main sur mon épaule et me dit alors que je serais pour toujours son plus proche ami et son meilleur chevalier, son frère. L’avenir lui donna raison, à peu près jusqu’à ce qu’il rencontre celle qui devait être sa femme…


Nous sommes rentrés sans plus un bruit, nous ne nous sommes même pas regardés une fois arrivés alors que chacun de nous allait se coucher dans ses pénates fourbus que nous étions par l'émotion partagée.

Nous étions comme des meurtriers étreints par la honte d’un crime odieux, alors que l’épreuve était accomplie et l’épée remportée, mais sans certitude de qui, de pourquoi ni de comment nous avions réussi."

Velins du souvenir - Autour de l’an 500

 

Auteur inconnu

Horizon de pluie

Regard noyé

Invincible désarmé​

Nadir vertical

Totalement épuisée je ne cessais de penser que si je tenais encore un jour ou deux quelqu’un finirait par me trouver… c’est là qu’elle apparut. Je ne pus en croire mes yeux, je me moquais de moi-même et de la boue qui prenait la forme d’une femme devant moi dans un délire que je pensais le dernier avant que la boue ne m’avale. Elle essuya ses yeux puis sa bouche et dégagea le reste de son visage ensuite tout en respirant à grandes lampées comme si elle avait retenu son souffle très longtemps. Elle me parla enfin au bout d’un long moment.

 

Après s’être présentée, Moïra me dit alors qu’elle allait nous sortir de là, sans m’expliquer d’où elle venait, elle invoqua une créature souterraine pour nous remonter à la surface mais je ne compris pas tout ce qu’elle dit, une partie de ses paroles étaient dans une langue différente. J’ai pris l’habitude de l’écossais parce que les gens d’ici ont le même accent que dans notre région natale donc je sais qu’elle ne parlait pas breton du tout !

 

Comme soulevées par un grand serpent qui nous aurait sur son dos nous fûmes amenées à la surface. Les torrents de boue n’y purent rien, et nous voici quelques instants plus tard à l’air libre, au milieu d’un horizon de pluie. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à cela mais c’est l’effet que cela me fit… et je perdis enfin connaissance, comme si mon esprit avait tenu jusque-là par obstination mais non sans dévorer progressivement mon courage en même temps.

Je repris mes esprits bien plus tard apparemment, sur un bateau qui nous déposait bientôt en Dumnonia et nous avons fini le voyage jusqu’au Comté de Wiht à cheval et à pieds. Là j’ai retrouvé d’autres survivants Scotts mais personne que je ne connaissais. La famille des McGregor n’a pas dû survivre, Camden non plus sans doute, mais mon père était comme fou de joie de me retrouver ici et moi donc, parce que je croyais l’avoir perdu pour toujours lui aussi…

Matilda Uboldson

Invincible désarmé

Le vieil homme au bord du chemin jouait de son instrument à cordes...

Il ne verrait pas une seconde de notre combat, par ce regard aveuglé d'une balafre qui lui traversait la face. Qui était donc ce témoin qui ne pouvait attester de rien et nous servait plutôt de barde improvisé ? Le Chevalier au Corbeau et au Loup me toisait, il me regardait de loin mais je sentais son âme scruter la mienne… Je commençais à me demander pourquoi je voulais l’affronter alors qu’il était évident que sans personne pour dire notre combat personne ne pourrait un jour entendre notre gloire d'aujourd'hui, la sienne ou la mienne peu importe.

...

Le Chevalier était jeune, une vingtaine de printemps environ et maximum cinq de plus que cela. Le menton fier et le front décidé, mais le regard sans grande conviction. Il se tenait prêt, le soleil ne tapait pas fort mais il faisait lourd depuis des jours et des jours. Nous étions au milieu de l’été et notre harnachement de combattants suffisait déjà à nous baigner de sueur. Il ne voulut pas me dire son nom mais n’a pourtant pas refusé le combat pour autant. Pourquoi combattre alors ? Enfin, cela me ferait au pire un cheval en meilleur état que le mien et une splendide armure de rechange mr disais-je alors, sans parler de cette arme courbe qu’il arborait en garde latérale, étrangement posté qu’il se tenait, comme pour recevoir une charge de cavalerie.

 

Le vieil homme s’était mis à jouer, nous avions convenu qu'il continuerait tout du long du combat mais que nous entamerions l’assaut à la fin de son premier morceau. Quand la musique cessa et avant qu’il ne recommence, je m’élançais donc vers mon adversaire. Il avait résolu de ne pas s’écarter du chemin pour me laisser passer et je m’attendais à la même chose à cet instant là. Les lames devaient s’entrechoquer bientôt quand soudain...

 

Mon arme levée tantôt s’abat sur son crâne mais il esquive en tournant sur sa droite. Sa lame effleure mon cou d’un mouvement circulaire. Je me retourne pour voir mes cheveux tomber lentement au sol. Cet évitement trahit sa peur me dis-je alors et je m’emploie à pilonner sa défense pour le faire reculer. Croyez m’en ou pas, pas un seul de mes coups de toucha au but. Je me retrouve plusieurs instants plus tard, presque à bout de souffle et lui n’a pas encore lâché un soupir ni même un mot.

Je demande un moment de repos en levant la main, il acquiesce du chef et se poste en garde basse, la pointe de son arme étrangère vers le sol. La musique avait repris comme prévu, l’ambiance de notre joute était plaisante même si tout cela manquait de donzelles pour nous apporter du vin et prendre soin de nous.

 

Le second assaut armé ne fut pas plus en ma faveur et je me retrouvais tantôt avec une tête hirsute à force de coups de lames ajustés par mon adversaire pour me ridiculiser et non me tuer. Les fanfarons sont décidément tous les mêmes me disais-je alors, il fait semblant et il ne sait pas encore que cela ne paie pas. Être supérieur à son adversaire ne doit servir qu’à le vaincre, sinon c’est un avantage inutile.

Alors que je m’emploie à lui démontrer son inutilité je tombe à genoux à la fin de notre troisième assaut. Je ne l’ai toujours pas touché et lui, lui a tout simplement fait chuter mes spalières parce qu’il en a tranché les liens aussi sûrement qu’il a déjà coupé mes cheveux en quatre.

Me vient alors l’idée de lui demander un duel à outrance, sans armure. Il ne réfléchit même pas et dit encore oui, mais toujours sans un mot et j’ai le sentiment de devenir fou au milieu de ce pont à n’entendre que mon propre coeur dans mes oreilles et vaguement la musique du vieux barde. Je suis fourbu et presque exténué mais enlever l’armure me rendra plus léger pensais-je alors et je me souviens sentir mon second souffle sur le point de me rendre mon élan premier.

 

Là les choses changèrent quelque peu. Comme la suite devait se passer avec une arme plus légère il accepta enfin de combattre à ma façon et d’engager sa lame contre la mienne. Par des techniques qui me sont tout aussi étrangères que la musique du vieux assis au bord de la route il met mes vêtements en pièces et je me retrouve à plat ventre alors qu’à sa mesure et son endroit, notre manège semble être un agacement mineur.

 

Il remet sa lame courbe au fourreau d’un geste qui me fascine encore aujourd’hui. Il s’assied par terre non loin de moi en me tournant le dos. Sans mot et sans fanfaronnade il me dit ainsi que le combat est fini et que j’ai évidemment perdu. Je me relève et m’approche, un simple coup d’estoc dans sa nuque offerte à mon épée pourrait me rendre tout ce que je viens de perdre, mais son arme est devant lui, posée à portée de main dans son fourreau…. Au bout de quelques instants, conquis par son talent insurpassable, je pose aussi mon arme derrière lui et je m’en retourne de l’autre côté du pont.

 ...

 

Arrivé sur l’autre rive, je n’entends plus la musique. Je fais volte face comme si le combat devait reprendre et là je constate ma solitude. Rien ni personne ne se tient de l’autre côté, je peux continuer ma route pour rentrer chez moi en Pengwern. Je ne comprends pas, mon armure est disséminée sur le chemin, les liens en sont coupés. Mes mèches de cheveux tranchées se disputent ça et là avec les branchages des buissons. Mon arme est posée là où je l'ai placée, en travers du chemin. 

Tout cela s’est-il vraiment passé ? Le jeune chevalier pourrait s’en être allé si j’ai perdu connaissance à mon insu un instant, mais le vieux lui n’aurait pu aller si vite au delà de ma vue… Était-il seulement là pour de bon lui aussi ? Je me pose encore la question à ce jour.

 

Extrait des “Mémoires de l’Invincible”

 

Lamorak O’Wallys

PHOTO de ALPHA CENTAURIS

Nadir Vertical

 

Je suis né le même jour que Le Roi Loth d’Orcanie. Quand nous étions enfants il se servait de moi comme éclaireur. J’ai ainsi précédé les pas de plusieurs autres roitelets qui savaient mon pouvoir mais qui eux payaient mes services. Loth me portait une affection fraternelle et j’étais aussi ami avec ses grands fils. J’étais comme un oncle qui passait parfois les soirs de fête et qui était reçu comme un prince même quand je ne m’étais pas annoncé. Etait-ce la rançon du succès ? Non, plutôt le fait que Loth connaissait mon secret. Je suis un Twarl et aucune enceinte qui ne serait totalement bâtie ne peut se refuser à moi.  

 

Tout un chacun s’imagine que c’est Myrdhinn qui a présidé à la naissance d’Arthur, de fait c’est vrai, mais pas seulement, le soir où Uther prit Ygerne dans le lit de son mari, c’est moi qui lui ouvrit la porte de sa chambre. Ce fut longtemps mon secret exclusif en dehors de Myrdhinn évidemment, jusqu’à la naissance de Gareth, “un enfant pas comme les autres”, lui aussi… Maintenant que j’y repense, au moment où je vais devoir affronter la mort qui marche sans doute pour la dernière fois, je comprends que les naissances exceptionnelles sont toujours le fait d’une époque, d’un contexte et non de ceux qui conçoivent et enfantent. Ceux-là sont comme les autres des jouets du destin, des instruments qui suivent la partition imposée pour que se poursuive le chant du monde.

 

Lorsque le Roi Arthur et son ami Lance sont venus en Orcanie pour régler le problème d’allégeance et de ralliement à la couronne posé par le Seigneur Loth, ils ont finalement voulu tuer l’ensemble de la famille. Le siècle dernier était cruel et le “bon” roi s’était finalement laissé contaminer par le tempérament belliqueux de son époque. Myrdhinn l’avait vu venir j’en suis sûr mais il n’a rien fait pour l’empêcher. Cet homme n’en est pas un, il est autre chose aussi vrai que moi je suis un Gardien des seuils infernaux. Au lieu de chercher à dissuader Arthur il a auparavant proposé à la femme de Loth d’échanger son dernier né contre un enfant de fermier. Ainsi le Roi croirait tuer Gareth mais il serait sauvé. Morgause ne se laissa pas abuser, elle refusa, convaincue que le Roi ne serait pas à ce point mauvais avec ses fils, fussent-ils de Loth.

 

Elle avait raison, j’étais là pour permettre le départ de Gareth sans encombre et je vis bien les rituels de Myrdhinn. A la suite de ses murmures et danses aux alentours de la citadelle d’Inversnaid, les combats qui s’y déroulèrent furent d’une sauvagerie sans égale. Le Roi et son premier chevalier se comportèrent comme des bouchers ! Ils achevèrent le moindre agonisant et abattirent sans frémir les quatre fils, enfin les trois vrais et le pauvre hère placé là pour faire illusion. Je m’enfuyais vers Myrdhinn avec Gareth dans les bras et ne le lâchais que pour le voir récupéré par les McLeod. J’ai dès lors veillé sur lui en mémoire de son père et de ce seul véritable ami qu’il fut jamais pour moi.

 

Je suis un peu injuste et à l’heure funeste où j’écris ces lignes je dois plus de reconnaissance à Gareth lui-même. Arrivé à maturité je le retrouvais. Je lui fis croire qu’il m’avait trouvé par hasard sur sa route. j’avais imaginé une petite mise en scène où j’étais malmené par plusieurs brigands et il y crut tellement qu’il me porta secours. J’ai pu apprécier sa bonté dès ces retrouvailles et jamais je ne lui révélais par la suite que j’étais cet oncle qui l’avait vu naître et grandir dans le nord. Nous sommes devenus amis et je devins même un long moment son ombre comme j’avais été celle de son père.

 

Gareth est parti faire son éducation en Aquitaine nous dit-on… Je suis pour ma part convaincu qu’il a vu bien plus durant sa jeunesse que le simple océan qui borde le continent. Il y a rencontré des gens et touché des choses qui nous sont parfaitement inconnues et cela est un pouvoir en soi ! Il rivalise d’astuce avec nos plus beaux esprits parce qu’il a vu le monde plus que tout autre breton.

 

Le Nadir m’attend et je repousse le moment où je ne serai plus au service de ce monde mais prisonnier de l’Autre. La mort n’est pas pour nous, elle nous refuse sa quiétude et son éternité. Nous avons été pensés et conçus par les anciens dieux pour servir. Si notre utilité est aujourd’hui dépassée puisque les passages infernaux ne sont plus ceux empruntés par les morts ou les monstres pour envahir cet endroit, alors nous n’avons plus de raison d’être. Ce n’est pas que j’embrasse ma fin avec joie, non. Je regretterai l’affection de mon Roi, mais pas grand chose d’autre…  

 

Alors que je couche péniblement ces mots sur un parchemin humide, les morts ont commencé à envahir nos cavernes et la mer ne fait déjà plus le même bruit incessant. Elle semble plutôt chanter notre oraison funèbre. Je vais devoir aller combattre mais je devais ces quelques mots à l’histoire et à Gareth. J’ai été mal avisé lors de la préparation de ses noces et je n'ai su le préserver de ces coups de couteau qui le blessèrent tant, que Morgane dut intervenir pour le sauver. J’espère que je vais tantôt racheter cette erreur. Assez tergiversé, il est l’heure de vaincre ou de mourir.

Pour mon ami et mon roi,

 

Robert McFraser

 

 

Robert n’est pas revenu, Il a vaillamment défendu notre domaine. Il est tombé de la falaise avec un ennemi qui allait me tuer. Il s’est interposé entre la mort et moi mais sa parade était courte et la chute à peu près inévitable. Ils tombèrent tous les deux, le mort et le vivant, au pied de la falaise nord. Je me nomme Sheïna McFraser et je suis la seule survivante de notre tribu à part tante Mothma. Elle est encore en vie parce qu’elle n’est pas restée au clan, elle siège déjà auprès du roi pour être notre lien avec lui. J’écris ces quelques lignes supplémentaires pour elle, pour qu’elle sache que son neveu est passé malgré lui à l’ennemi, parce que nous n’avons pu retrouver son corps.

J’ai pris un bateau peuplé d’autres survivants qui doit caboter jusqu’à Pons Aelys, mais je pense que nous serons obligés de toucher terre plus loin. Si les morts qui marchent ont avancé sur tous les rivages comme chez nous, je ne sais même pas si nous pourrons accoster. J’espère que cette missive trouvera tout de même sa route jusqu’à cet endroit dont on nous parle dans d’autres messages et où il paraît que nos forces se rassemblent… et surtout qu’il restera quelqu’un de vivant pour la lire.

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